Il serait tentant d’expliquer la réussite de cet album par un cliché : celui du musicien parti à la recherche de ses raci­nes et revenu plus accompli. Evacuons-le. Non qu’il soit tout à fait impertinent, puisqu’on entend bien ici au moins un air traditionnel arménien (Erzeroumi Shoror) et que le cœur se fend plus d’une fois aux sanglots et souffles gutturaux des duduk (hautbois) et chevi (flûte). Mais une lecture folklorique ne rendrait pas justice à l’imbrication étroite de jazz, de groove (Wayne the saint) et d’enluminures arméniennes, à l’incroyable cohésion du quintet mené par Alexis Avakian (avec quelques inter­ventions de Miqayel Voskanyan au chant et au târ) et à la poésie qu’il ­déploie à cœur ouvert.

A l’évidence, le saxophoniste et flûtiste a atteint une assurance plus fer­me dans l’écriture, qui lui permet d’explorer avec méticulosité les moindres nuances de son jardin sonore. L’album exploite ainsi une passion nostalgique entretenue jusqu’au point où douceur et déchirure ne se démêlent plus, la tristesse se muant en consolation par la grâce de la mélodie. Parmi ces excellents musiciens, Avakian ­impressionne particulièrement, chacune de ses interventions solistes laissant entrevoir d’enivrantes fêlures.